15

… dormait profondément, indifférente à tout ce qui pouvait se passer. Pinky somnolait quelque part dans le salon, sans doute à sa place à lui, sur le divan, et dans sa chambre d’enfant Johnny reposait comme un bienheureux dans le petit lit que nous avions acheté pour remplacer son berceau. L’appartement était parfaitement silencieux, exception faite du ronronnement discret du réfrigérateur, dans la cuisine.

Mon Dieu, me dis-je, les couleurs s’estompent de plus en plus vite, comme si elles atteignaient la vitesse de libération ; comme si elles étaient aspirées hors de l’univers lui-même. Elles ont dû parvenir au bord du monde et s’évanouir au-delà. Et mes pensées avec elles ? L’univers, réalisai-je, était en train de se retourner comme un gant – de s’inverser. C’était une impression affolante, et j’étais submergé de terreur. Il m’arrivait quelque chose, et je ne pouvais en parler à personne.

Pour une raison que j’ignore, il ne me vint pas à l’esprit de réveiller ma femme. Je restai simplement étendu à observer les taches de couleur brumeuses.

Puis, en un clin d’œil, un carré bariolé apparut juste au-dessus de moi. Intense activité phosphénique, pensai-je ; et je me dis soudain que c’était les énormes doses de vitamine C que j’ingurgitais qui, d’une manière ou d’une autre, avaient déclenché le phénomène. J’étais seul responsable de tout ça, avec mes efforts pour me soigner.

Le carré excessivement bariolé chatoya et se modifia au centre exact de mon champ de vision. Il avait l’allure d’une toile abstraite moderne ; j’aurais presque pu nommer son auteur – mais presque seulement. Très vite, avec l’époustouflante rapidité de permutation qu’on appelle « enchaînement-éclair » dans les milieux de la télévision, le cadre de couleurs bien équilibrées et proportionnées céda la place à un nouveau cadre, tout aussi attrayant. En l’espace de quelques secondes, j’en avais vu pas moins d’une vingtaine ; dès qu’une image, dès qu’une œuvre abstraite apparaissait, on enchaînait sur la suivante. L’effet d’ensemble était éblouissant. Paul Klee, me dis-je, surexcité. Je suis en train de voir toute une série de reproductions de toiles de Paul Klee – ou plutôt les véritables toiles elles-mêmes, de quoi faire toute une exposition dans une galerie. À bien des égards, c’était la chose la plus merveilleuse et la plus stupéfiante qu’il m’eût jamais été donné de voir. Étant donné ma terreur, et mon incapacité à expliquer le phénomène, je décidai de rester allongé et de profiter du spectacle. En tout cas, jamais je n’avais eu l’occasion de faire une expérience pareille ; c’était une chance extraordinaire – unique, en fait.

L’éblouissante présentation d’œuvres graphiques modernes et abstraites se prolongea toute la nuit.

Paul Klee cédant la place à Marc Chagall, Chagall à Kandinsky, et Kandinsky à un artiste dont je ne reconnus pas le style. Il y avait littéralement des dizaines de milliers d’œuvres pour chacun des maîtres qui se succédaient… ce qui m’amena au bout de deux heures à me faire une certaine réflexion. Ces grands artistes n’avaient jamais produit autant d’œuvres ; c’était manifestement impossible. Du seul Klee, j’avais déjà vu plus de cinquante mille toiles, même s’il me faut admettre qu’elles étaient passées si vite que je n’avais pas pu distinguer le moindre détail, mais juste l’impression générale de points en équilibre fluctuant dans les diverses peintures, de changeantes proportions de couleurs sombres et claires, d’habiles coups de pinceau noirs qui conféraient une harmonie à ce que l’on n’aurait autrement pas pu appeler du grand art.

J’avais l’impression très vive qu’il s’agissait là d’une sorte de contact télépathique établi depuis un endroit très éloigné, qu’une caméra de télévision balayait les diverses pièces d’une exposition dans un musée, quelque part ; je me rappelai alors que le musée de Leningrad avait la réputation de posséder une extraordinaire collection d’abstraits français, et j’eus soudain la vision d’une équipe de télévision soviétique en train de filmer et de refilmer les toiles, puis d’émettre les images vers moi à une vitesse prodigieuse, par-delà dix mille kilomètres de distance. Mais c’était une idée tellement invraisemblable que je ne pouvais l’accepter. Il était plus plausible que les Soviétiques se livrent à une expérience de télépathie, utilisant leurs œuvres abstraites modernes en guise de matériel destiné à être expédié vers un individu-cible, quelque part, et que, pour des raisons inconnues, je surprenais – quel que soit le verbe exact – l’expérience en question, la captant par accident. Ce n’était pas moi que l’expéditeur avait en tête en émettant ; néanmoins, j’assistais à cette superbe exposition d’œuvres graphiques modernes, je voyais toute la collection de Leningrad.

Toute la nuit, je restai étendu, éveillé et heureux, branché sur ce spectacle soviétique ou quoi que ce fût d’autre ; au lever du soleil, j’étais toujours allongé sur le dos, pleinement conscient, ni effrayé ni inquiet, après avoir baigné dans les intenses fluctuations de couleurs éclatantes pendant plus de huit heures. Rachel se leva en grognant pour aller donner à manger à Johnny. Quand je sortis à mon tour du lit, je m’aperçus que j’y voyais parfaitement, sauf quand je fermais les yeux. Quand je les fermais, je voyais une représentation phosphénique invariable et absolument stable de ce que je venais de regarder : ma chambre, et un instant plus tard le salon avec ses rayonnages de bibliothèque, ses casiers à disques, son lampadaire, son poste de télé, ses meubles. Il y avait même un négatif-couleurs de Pinky, profondément endormi à sa place à lui, à l’autre bout du canapé, à côté du négatif-couleurs d’un exemplaire du New Yorker.

J’ai un nouveau type de vision, me dis-je. Une nouvelle vue. Comme si j’avais été aveugle jusqu’à maintenant. Mais je ne la comprends pas.

D’habitude, je coinçais ma femme et je lui racontais avec force détails mes expériences nocturnes, mais pas cette fois. C’était trop… curieux. D’où les transmissions télépathiques avaient-elles été émises ?

Avais-je quelque chose à faire pour répondre ? Écrire à Leningrad, d’une manière ou d’une autre, et leur dire que je les avais bien reçues ?

Peut-être la vitamine C a-t-elle affecté le métabolisme de mon cerveau, conjecturai-je. Après tout, c’est hautement acide ; de telles quantités assimilées par l’organisme doivent fortement acidifier le cerveau. Le processus d’intellection et l’activité neuronique s’accélèrent dans des conditions d’acidité. Peut-être l’intense animation phosphénique, les dessins multicolores avaient-ils été des projections d’un rapide bombardement neuronique synchrone sur des circuits jamais utilisés auparavant. Dans ce cas, Leningrad n’avait rien à voir avec tout ça. Tout se résumait à une fonction et à une activité à l’intérieur de ma tête.

Le GABA[6], réalisai-je tout à coup. Ce que j’ai vu résultait d’une déperdition brutale de liquide GABA. Il y avait eu un bombardement neuronique sans précédent, qui avait emprunté des circuits jusqu’alors bloqués. Heureusement que je n’ai pas encore écrit à Leningrad.

Je me demande de quel genre de circuits neuroniques il s’agit, pensai-je. Je le découvrirai sans doute, en temps voulu.

Je n’allai pas travailler, ce jour-là. Le facteur passa vers midi ; je descendis les marches de dehors d’un pas mal assuré et me dirigeai vers l’alignement de boîtes aux lettres métalliques, puis relevai mon courir et rentrai à la maison.

Lorsque j’étalai les lettres et les pubs sur la table basse du salon, je fus la proie d’une intuition très intense et je dis à Rachel : « Une lettre arrivera après-demain, de New York. Elle est extrêmement dangereuse. Je dois être là pour la recevoir, dès la distribution. » C’était une impression irrésistible.

« Une lettre de qui ? fit Rachel.

— Je ne sais pas.

— Tu… la reconnaîtras ?

— Oui. »

Il n’y eut pas du tout de courrier le lendemain. Mais, le surlendemain, sept lettres arrivèrent. La plupart émanaient de jeunes artistes en herbe, et m’avaient été réexpédiées par Progressive. Après avoir examiné les enveloppes sans les ouvrir, je passai à l’ultime lettre restante ; elle portait mon nom et mon adresse, mais pas la moindre adresse pour répondre.

« C’est celle-là, dis-je à Rachel.

— Tu ne l’ouvres pas ?

— Non. » Je tâchais de me figurer ce que j’étais censé faire de la lettre.

« Je vais l’ouvrir, dit Rachel, joignant le geste à la parole. C’est juste un prospectus de pub », précisa-t-elle en déposant le tout sur la table basse ; instinctivement, sans savoir pourquoi, je détournai la tête de manière à ne rien voir. « Pour des chaussures, dit-elle. Des chaussures par correspondance. Un truc qui s’appelle “Les Chaussures du Monde réel”. Avec une semelle spéciale qui…

— Ce n’est pas une pub, coupai-je. Retourne la feuille. » Elle la retourna.

« Quelqu’un a noté son nom et son adresse au dos. Une femme. Elle s’appelle…

— Ne le dis pas, fis-je vivement. Je ne veux pas savoir son nom ; si tu me le dis, je m’en souviendrai. Il s’inscrira dans mes banques de mémoire.

— C’est sûrement elle le distributeur, affirma Rachel. Mais il n’y a pas de quoi s’affoler, Nick ; c’est juste des chaussures.

— Apporte-moi un stylo et deux ou trois feuilles de papier, dis-je, et je vais te montrer. » En même temps, je tentais toujours de lire en moi-même dans l’espoir de trouver ce que je devais faire à propos de cette pub – à propos d’elle, et à partir d’elle. J’étais mort de trouille, assis à la petite table devant ce prospectus pour des chaussures pendant que Rachel allait me chercher un stylo et du papier.

J’étais obligé de lire le truc pour le décoder. En surimpression sur les caractères noirs, d’un rouge vif, liquide, je vis certains mots de la pub se détacher comme s’ils étaient estampés. Très vite, je les recopiai sur une autre feuille de papier que je tendis à Rachel quand j’eus terminé. « Lis ça, lui dis-je, mais garde-le pour toi, ne me dis rien. »

Rachel parla d’une voix hésitante. « C’est un message pour toi. Il y a ton nom dedans.

— Qu’est-ce qu’il me dit de faire ?

— Un truc à propos d’enregistrer certains… C’est en rapport avec ton boulot. Ça parle de membres du Parti qui… Je n’y comprends rien. Ton écriture est…

— Moi, je comprends. Et ça concerne Progressive et mon travail chez eux, et le fait d’enregistrer des membres du Parti.

— Mais comment ça se peut ? fit Rachel. Dans un prospectus de pub pour des chaussures ? Je t’ai vu de mes yeux extraire le message en relevant des mots ici et là… Les mots sont vraiment dedans ; maintenant, je les distingue aussi, quand je regarde le prospectus. Mais comment savais-tu lesquels il fallait choisir ?

— D’une couleur différente. Ils sont en couleurs, et les autres mots sont en noirs, normalement, sans couleur.

— Tout le texte est en noir ! protesta Rachel.

— Pas pour moi. » J’étais toujours plongé dans mes réflexions, soucieux et effrayé.

« Un code émanant du Parti. Des instructions, et le nom de ma patronne, ou je ne sais quoi ; c’est écrit de sa main, au dos. Mon contact officiel.

— Nick, c’est affreux, fit Rachel dans un souffle. Est-ce que tu es…

— Je ne suis pas communiste, déclarai-je en toute sincérité.

— Mais tu savais que ce truc allait arriver. Et tu savais comment le décoder. Tu attendais ça. » Elle me regardait avec de grands yeux.

J’attrapai le prospectus et, pour la première fois, le retournai ; une voix retentit alors dans ma tête. Une transformation de mes propres processus mentaux en vue de me faire passer un message.

« Les autorités. »

Juste ces deux mots – les autorités – alors que je tenais la feuille. Celle-ci ne provenait pas d’un agent du K.G.B. opérant depuis New York, contrairement à ce qu’il m’avait semblé. Il ne s’agissait pas d’instructions émanant du Parti. C’était un faux. Le truc fonctionnait sur trois niveaux ; en surface, aux yeux de Rachel, c’était une pub ordinaire. Pour une raison quelconque, inexpliquée, je m’étais montré capable d’extraire l’information encodée au milieu des données dépourvues de sens. Peu importe pourquoi, me dis-je ; tout ce qui compte, c’est que je l’ai fait, que j’en ai été capable, sans problème. Au troisième niveau, le plus profond, c’était une contrefaçon, un coup monté de la police. Et j’étais assis là avec ça, dans le salon de mon propre appartement : superbe preuve de ma qualité de traître en exercice. Assez pour m’envoyer en taule pour le restant de mes jours et pour nous bousiller, moi et ma famille.

Il faut que je m’en débarrasse, réalisai-je. Il faut que je brûle ça. Mais à quoi bon ? Il en arrivera d’autres du même genre au courrier. Jusqu’à ce qu’ils me chopent.

La voix dans ma tête parla de nouveau. Je la reconnaissais, maintenant. La voix de la sibylle, telle que je l’avais entendue dans mes rêves visionnaires. « Appelle les APA à L.A. Je parlerai pour toi. » Une fois muni de l’annuaire, je cherchai le numéro des urgences du grand quartier général des APA pour la Californie du Sud, situé à Los Angeles.

« Qu’est-ce que tu fais ? demanda Rachel avec appréhension en me suivant. Tu vas appeler… les APA ? Mais pourquoi ? Bon sang, Nick, c’est du suicide ! Brûle le papier ! » Je composai le numéro. « Amis du peuple américain. » À l’intérieur de mon esprit, la sibylle s’agita, et je perdis soudain tout contrôle de mon propre appareil vocal ; j’étais muet. Puis elle se mit à parler à ma place, en utilisant ma voix. Calmement, implacablement, elle s’adressa à l’agent des APA à l’autre bout du fil.

« Je désire rapporter », dit ma voix, d’une manière mesurée qui ne ressemblait pas du tout à mes propres cadences, « que je suis l’objet de menaces du parti communiste. Pendant des mois, ils ont tenté d’obtenir ma coopération sur une question professionnelle et j’ai refusé. Ils cherchent maintenant à parvenir à leurs fins en recourant à la coercition, à la force et à l’intimidation. Aujourd’hui, j’ai reçu au courrier un message codé venant d’eux, et me disant ce que je devais faire pour eux. Je ne le ferai pas, même s’ils me tuent. Je voudrais vous faire parvenir ce message codé. »

Après une pause, l’agent des APA à l’autre bout du fil dit : « Juste un instant, s’il vous plaît. » Quelques cliquetis, puis le silence.

« Le temps participe de l’essence, dis-je à Rachel.

— Allô, fit une autre voix, apparemment plus âgée. Voudriez-vous me répéter ce que vous venez de dire au standardiste ?

— Le parti communiste me fait chanter pour me forcer à coopérer avec eux sur une question professionnelle. J’ai refusé.

— Quel genre de question professionnelle ?

— Je travaille dans une maison de disques. Nous enregistrons des artistes folk. Le Parti veut m’obliger à enregistrer des chanteurs procommunistes pour que leurs messages, y compris des messages codés, soient diffusés sur les radios américaines.

— Votre nom. »

Je lui donnai mon nom, mon adresse et mon numéro de téléphone. Choquée, Rachel me regardait sans mot dire. Elle n’arrivait pas à croire que j’étais en train de faire ce que je faisais. Moi non plus.

« Comment vous font-ils chanter, monsieur Brady ? demanda la voix.

— Je commence à recevoir des lettres d’intimidation émanant d’eux.

— Des lettres d’intimidation ?

— Des lettres conçues pour provoquer une réaction par peur des représailles. En code. Je n’arrive pas à déchiffrer entièrement le code, mais…

— Nous allons vous envoyer quelqu’un. Conservez bien le matériel écrit qui est en votre possession. Nous désirerons le voir. »

Je dis, ou plutôt ma voix déclara : « Ils m’ont donné le nom de quelqu’un à contacter dans l’est.

— Ne les contactez pas. Ne quittez pas votre domicile. Attendez simplement l’arrivée de notre représentant. On vous donnera des instructions sur la marche à suivre. Et merci de nous avoir appelés, monsieur Brady. C’était très patriotique. » À l’autre bout du fil, l’homme raccrocha.

« Je l’ai fait », dis-je à Rachel ; je me sentis submergé de soulagement. « Je me suis sorti la tête du nœud coulant, voilà ce que j’ai fait. Il y aurait probablement eu une descente dans cet appartement dans l’heure qui vient. Dans le jour qui vient, en tout cas. » Ils pouvaient nous tomber dessus, maintenant ; Ça n’avait plus d’importance. J’avais donné le coup de fil qu’il fallait. La situation critique était résolue, et – il ne fallait en remercier ni moi ni une idée à moi, mais la sibylle.

« Mais suppose qu’on découvre que ça vient bien du Parti, fit Rachel comme une folle.

— Ça ne vient pas du Parti. Je ne connais aucun membre du Parti ; je ne suis même pas sûr qu’il y ait un Parti. S’il y en a un, je ne vois pas pourquoi il m’écrirait, surtout en code.

— Ça pourrait être une erreur quelconque. La lettre était destinée à quelqu’un d’autre.

— Dans ce cas, qu’ils aillent se faire foutre », fis-je. De toute manière, je savais que c’était les autorités ; ou plutôt la sibylle le savait, SIVA le savait, SIVA, qui s’était manifesté à l’instant critique et m’avait sauvé.

« Ils vont croire que tu es communiste, avec ce que tu leur as dit, déclara Rachel.

— Non, ils ne croiront pas ça. D’abord, aucun communiste ne les aurait appelés, et encore moins pour dire ce que j’ai dit. Ils me prendront exactement pour ce que je suis : un patriote américain. Je les emmerde et j’emmerde le Parti ; c’est une seule et même chose, en ce qui me concerne. C’est le Parti qui exécute ses ennemis politiques lors des purges – Ferris Fremont est le Parti, et le Parti a assassiné les Kennedy, le Dr King et Jim Pike pour prendre le pouvoir en Amérique. Nous n’avons qu’un ennemi et c’est celui-là. Le camarade Ferris Fremont. »

Ma femme me considérait, muette de stupeur.

« Navré, dis-je, mais c’est vrai. C’est le grand secret. C’est ce que les gens ne sont pas censés savoir. Mais je le sais. On me l’a dit.

— Fremont n’est pas communiste, dit faiblement Rachel, le visage terreux. C’est un fasciste.

— L’U.R.S.S. est devenue fasciste à l’époque de Staline. Maintenant, elle est complètement fasciste. L’Amérique était le dernier bastion de la liberté et ils se sont emparés de nous, de l’intérieur, sous de faux noms. On attache trop d’importance aux noms – aux étiquettes. Fremont est le premier président communiste et je n’aurai de cesse qu’il disparaisse.

— Bon Dieu, fit Rachel.

— Parfaitement.

— Jamais je ne t’ai vu faire preuve d’une telle animosité, Nick.

— Cette lettre, aujourd’hui, dis-je sauvagement, cette prétendue pub pour des godasses – c’est une tentative de meurtre, une tentative de meurtre dirigée contre moi. Rien que pour ça je les aurai, ces enculés, parce qu’ils m’ont envoyé ce truc. Même si c’est la dernière chose que je dois faire.

— Mais… Tu n’as jamais affiché une telle haine pour le Parti. À Berkeley…

— Ils n’avaient jamais essayé de me tuer.

— Est-ce que… » Elle pouvait à peine parler ; toute tremblante, elle s’assit sur l’accoudoir du canapé, à côté de Pinky. Le chat dormait toujours.

« Est-ce que les APA peuvent t’aider ?

— Les APA. L’ennemi. Poussé à faire l’impasse sur lui-même. Je les amènerai à faire tout le boulot ; j’ai déjà commencé.

— Combien d’autres personnes sont au courant, à ton avis ? Pour le président Fremont, je veux dire ?

— Regarde sa politique étrangère. Des accords commerciaux avec la Russie, des ventes de céréales à perte pour nous ; il leur donne ce qu’ils veulent. Les États-Unis sont leur fournisseur ; nous faisons ce qu’ils disent. S’ils sont à court de blé, on leur procure du blé. S’ils commencent à manquer de…

— Mais nos énormes effectifs militaires ?

— Pour entretenir la faiblesse de notre peuple. Pas du leur.

— Tu ne savais pas tout ça hier, dit Rachel.

— Je l’ai compris quand j’ai vu le prospectus sur les chaussures. Quand j’ai vu que le message du parti communiste venait aussi des APA. Ils travaillent avec le K.G.B, à New York, pas contre lui ; comment celui-ci pourrait-il fonctionner si les APA ne l’y autorisaient pas ? Il y a une communauté des services de renseignements, et une seulement. Et nous en sommes tous victimes, où que nous vivions.

— Il faut que je boive quelque chose, parvint à dire Rachel.

— Courage, fis-je. Le changement a commencé à s’installer. Nous sommes arrivés à un tournant. On les démasquera ; ils passeront en justice, tous jusqu’au dernier, et ils répondront des crimes qu’ils ont commis.

— Grâce à toi ? » Elle me regarda d’un air timide.

« Grâce à SIVA.

— Je ne te reconnais plus, Nick. Tu n’es plus la même personne.

— C’est vrai.

— Qui es-tu ?

— Leur adversaire. Qui veillera à ce qu’ils soient traqués.

— Tu ne pourras pas faire ça tout…

— On me donnera le nom des autres.

— Des autres comme toi ? »

Je hochai la tête.

« Alors cette lettre, dit Rachel, cette pub pour les chaussures… elle n’aurait jamais atterri dans notre boîte aux lettres sans la permission et la coopération des autorités américaines.

— C’est exact.

— Et Aramchek ? »

Je ne dis rien.

« Est-ce que SIVA est Aramchek ? demanda Rachel d’une voix hésitante. Enfin, peut-être qu’il vaudrait mieux que tu ne me le dises pas ; peut-être que je ne suis pas censée le savoir.

— Je vais te dire… » commençai-je, mais je sentis aussitôt deux grandes mains invisibles m’empoigner par les avant-bras ; leur étreinte était si vigoureuse que je poussai un grognement de douleur. Rachel me regardait. Je ne pouvais pas ajouter un mot ; tout ce que je pouvais faire, c’était essayer de supporter la pression qu’exerçaient les mains invisibles qui me maintenaient. Puis, enfin, elles me relâchèrent. J’étais libre.

« Que s’est-il passé ? demanda Rachel.

— Rien. » Je prenais des inspirations profondes, mal assurées.

« La tête que tu as faite… Quelqu’un t’a retenu, n’est-ce pas ? Tu t’apprêtais à dire quelque chose que tu n’aurais pas dû dire. » Elle me tapota doucement le bras. « Ça va, Nick ; tu n’es pas forcé de me le dire. Je ne veux pas que tu me le dises.

— Peut-être une autre fois », fis-je.

Radio Libre Albemuth
titlepage.xhtml
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Dick,Philip K.-[La Trilogie Divine-0]Radio Libre Albemuth(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html